Lechou

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L’urgence du lien

DEV. PERSO.
solidarité humaine
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Imaginez la Terre envahie par une ribambelle d’extraterrestres. Soudain, ils débarquent, c’est la panique. Ils n’ont pas l’air sympathique. Face au ciel, la Terre s’unit dans un gigantesque élan de solidarité. On fait face à l’inconnu, le collectif reprend le dessus. Plus de races, plus d’âges, plus de frontières, plus d’obédience politique, plus de religions. On est tous dans le même bateau. On agit, ensemble. Mais comme nous sommes bien loin de ce scénario, cessons l’élévation et redescendons à notre niveau terrestre, à nos petites préoccupations dantesques, et constatons le monde dans lequel on vit. Ici, point de ciel, bien qu’on gagnerait à le regarder un peu plus. Ici, visiblement, on ne sait pas maintenir la solidarité qui caractérise l’humain, à savoir l’entraide et l’empathie, la reconnaissance de l’autre comme un égal de soi. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Est-ce que la notion de lien est devenue un concept purement artificiel, une grande illusion de notre époque folle ?

Créer du lien

L’humain est un être de lien, il a besoin de se lier aux autres pour vivre. Notamment parce qu’il se reconnait dans une espèce, dans laquelle il s’inscrit. Selon le dictionnaire de l’Académie Française, le lien est issu du latin ligamen, qui signifie « de même sens ». L’Homme est fondamentalement social, et ce dès la naissance. C’est une capacité neuronale ancestrale qui a permis à l’espèce humaine de survivre sur la planète, grâce à la collaboration du collectif. Dans nos gènes, la sociabilité se transmet, nous sommes biologiquement programmés pour la coopération. C’est là que ça se gâte. Au fil de l’évolution, arrivés au stade de la révolution industrielle, puis avec l’accélération du progrès, de la mondialisation, nous avons renforcé les frontières, délimité plus durement les races, creusé les inégalités, exacerbé les partis politiques et autres divergences d’egos. Ajoutons à la bonne bouillabaisse un individualisme notoire, un consumérisme effréné, une dématérialisation de l’humain qui communique de plus en plus voire essentiellement en réseaux, à distance, en télétravail, au travers d’un grand métavers, et voilà que tout naturellement, les hommes et les femmes se réduisent comme peau de chagrin dans leur chair. On perd petit à petit la substance qui fait de nous des humains. Parce que si l’Homme est un être de lien, il l’est parce qu’il est un être de contact.

D’après le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, nous ne pouvons pas vivre sans les autres, car le sens de la vie naît dans la relation à l’autre. Ainsi, être en lien serait la chose la plus naturelle du monde. Et pourtant… Pourquoi notre époque semble si compliquée à créer du lien, à l’ère du tout internet, où l’accès à l’autre n’a jamais été si facile ? C’est que le lien a changé, il ne se contente plus de son entourage, il s’éparpille, il devient superficiel. On se croit en lien à travers des réseaux sociaux, on se croit largement connecté, en vérité, cette dématérialisation ne permet plus le vrai lien, celui qui vient du vivant, donc du vrai, celui du corps.

Imaginez encore ce scénario : Voilà un enfant qui vient de naitre, qui entre en lien avec sa mère, dont il touche la peau, dont il prend le sein pour se réchauffer et se nourrir ; maintenant, expliquons-lui qu’il va construire son lien sans contact. Que sa mère lui enverra des mails avec des mots tendres et lui fera livrer des colis avec le lait maternel en bocaux. Absurde, n’est-ce pas ? Nous ne pouvons construire de lien si le corps est dématérialisé. Nous ne pouvons entrer en lien si la substance même de l’humain ne devient qu’une image. Si on ne peut percevoir, par le corps, l’émotion, la voix, l’énergie de l’autre, on subit de plein fouet une altération de la relation à l’autre. Mais le plus étonnant, c’est que la relation à soi-même s’en trouve altérée aussi : nos curseurs empathiques et émotionnels baissent considérablement. On se ferme, on est de plus en plus insensible au monde. Le corps est fait de récepteurs ; enlevez-lui ces récepteurs, ses sensations s’amenuisent comme peau de chagrin. Un enfant isolé dès la naissance, et l’Histoire en a malheureusement fait l’expérience, ne survivra pas sans lien.

La perte de l’organicité

On pourra parler de sociologie, questionner le pourquoi du comment, interroger les ramifications qui nous mènent au constat qu’à l’époque de la virtualité, on parle avec beaucoup de monde, mais peu avec son voisin. On se demandera pourquoi pullulent les associations et autres organisations de quartiers ou internationales, qui agissent avec grande qualité pour réinstaurer un peu de lien au milieu des quasi 8 milliards d’humains que nous sommes sur Terre. Est-ce quelque chose qu’on a oublié au point de devoir créer des points de rencontre ? Le naturel de l’humain n’est-il pas naturellement le lien ? On fait le constat navrant que les humains ne se parlent plus, qu’ils sont de moins en moins connectés à la nature, que l’empathie naturelle de l’Homme se meurt. Qu’est-ce qui manque à tout cela ? Le lien organique. Allons voir des associations, nous constaterons que les gens reviennent dans le vrai, et se remettent en lien avec grande facilité. Ils reviennent au réel, ils ont quitté le virtuel. Allons encore voir ces villages éco-responsables qui pullulent, parce que les gens veulent retrouver la nature et la solidarité : les gens sont en contact, le lien est prégnant ; c’est cela, la vie. Allons voir les peuples qui ne connaissent par internet ni la télévision : ils vivent en communauté – et très bien. Constatons combien, dès qu’on est touché par quelque chose, l’empathie reprend le dessus. Et le lien renait. On va naturellement vers l’autre. On va naturellement, enfin, vers soi aussi.

La conscience de l’autre

Selon le sociologue Philippe Breton, « le lien social est menacé par une certaine conception d’Internet, qui tend à dispenser les hommes de toute communication directe. Le lien social ne serait plus fondé que sur la séparation des corps et la collectivisation des consciences. »

Qu’en dit la psychanalyse ? « Mon âme et ma conscience, voilà ce qu’est mon Soi. », disait Carl Jung. À quelles frivolités extérieures a-t-on vendu notre âme ? Où est passée notre conscience ? Faisons une différence entre l’individualisme et l’individuation, principe énoncé par Carl Jung. Concept-clé de la psychologie analytique du psychiatre suisse, l’individuation est le processus de création et de distinction de l’individu. L’individualisme auquel nous presse notre époque est bien loin de ce principe d’individuation. Ce processus permet au Soi de vivre en groupe tout en préservant son individualité. Cela créé des liens affectifs clairement définis entre les individus et surtout, d’après Carl Jung, un sentiment de solidarité inné à l’égard des humains dans leur ensemble. « Lorsque de tels liens sont créés par le Soi, alors seulement, nous avons l’assurance que l’envie, la jalousie, la lutte, et toutes sortes de projections négatives, ne viendront pas faire éclater le groupe. C’est pourquoi, se consacrer à son propre processus d’individuation de façon inconditionnelle, entraîne aussi la meilleure adaptation sociale possible. » (L’homme et ses symboles, de Carl G. Jung, 1964)

Ainsi, l’individuation, c’est alors développer la conscience de soi pour soi et la conscience de soi dans un groupe. En faisant cela, l’humain a une influence positive sur l’ensemble. Ce processus archétypique « permet l’apparition lente d’une personnalité chaque fois plus ample qui n’est ni bloquée par le côté social (le masque) ni par le côté de l’ombre et de l’inconscient qui nous pousse parfois à l’action destructive de l’autre. » L’humain aurait-il changé au point de s’être éloigné de ce concept au profit d’un individualisme forcené ?

Faire sens, réinventer le lien

Quand le lien existe, la relation reste toujours à construire. Pour cela, elle doit se vivre au quotidien. Réinsuffler chaque jour dans son humanité l’empathie, la solidarité, l’amour, l’écoute. C’est prendre de la hauteur ; assez pour sortir la tête du marasme. C’est retrouver un certain sens du sacré et de la préciosité de la vie. Mais faut-il que cette vie reste en mouvement, en mouvance. Or, on constate que nos modèles occidentaux actuels, qu’ils soient éducatifs, économiques, politiques, tendent à affaiblir cette conscience de l’autre, cette hyper socialisation naturelle. Encore une fois, lorsqu’une catastrophe surgit, qui touche le collectif à grande échelle, on a pu le voir lors de tremblements de terre ou accidents d’envergure, l’élan de solidarité se déclenche spontanément, la survie collective se réactive. On se recueille, ensemble, on se réinscrit dans les codes communs. Il n’y a alors plus aucune différence entre les Hommes, parce que le lien surpasse tout et trouve à se nouer au-delà des différenciations. Notre base commune, c’est le lien. Simplement parce que, avant toute origine ou culture, nous sommes tous des humains. Cela nous est naturel et cela s’exprime dans les moments extra-quotidiens, hors norme ; à ce moment-là, la virtualité n’est plus. Et bien que naturel, ce lien humain a besoin et demande à être entretenu.

La perte du lien, à l’ère du grand Internet et de la virtualité, est un découlement logique puisque comme tout, il se dématérialise jusqu’à ne plus se vivre, c’est-à-dire, se ressentir, s’expérimenter. Nos neurones miroirs, ou neurones de l’empathie, qui sont notre base biologique, s’ils ne sont pas mis en présence du réel, se réduisent à mesure qu’ils perdent leurs points de contacts. Dans notre époque si particulière, cela nous demande un effort conscient de réintroduire subtilement, au quotidien, notre capacité à entrer en relation. Alors, quittons nos ordinateurs, autant que possible, n’échangeons plus à distance, voyons-nous, embrassons-nous ! Il y a bien d’autres leviers à enclencher pour se rassembler que de liker des profils et communiquer par bribes de mots éthérés. Allons dans le monde, écoutons, observons, multiplions les expériences, les projets, engageons-nous dans des causes humanistes. Pensons grand ! Voyons les actions mises en place, créons de nouvelles connexions, saisissons combien l’humain sait se mettre en action pour fédérer, aimer, protéger. Et inspirons-nous de celles et ceux qui encouragent cette humanité, dans tout ce qu’elle a de plus beau. Tel Martin Luther King qui était effrayé, selon ses mots, non pas par l’oppression des méchants, mais par l’indifférence des bons. Et d’ajouter, lors de son discours d’acceptation du prix Nobel de la Paix, le 10 décembre 1964 : « Je crois que la vérité désarmée et l’amour inconditionnel auront le mot de la fin en réalité. C’est pourquoi le juste, même temporairement vaincu, est plus fort que le mal triomphant. »

 

Sophie Di Malta, journaliste